Il ne faut plus jamais voir des voitures courir alors qu'il y a des débris en piste
La Formule E met en scène des voitures de courses sur des circuits urbains sinueux. Les contacts, les accidents arrivent souvent. Il n'est alors pas rare que des morceaux de voiture se retrouvent sur la piste sans pour autant empêcher ces voitures de poursuivre la course. Si les débris en piste ne sont pas une spécificité de la Formule E, celle-ci a toutefois a une manière unique de les gérer.
Published by
Kazlu
Depuis maintenant un peu plus d'un an, je fais partie d'une équipe qui anime un podcast francophone qui traite de Formule E. Nous avons commencé à construire une petite communauté avec qui partager notre passion pour le sport automobile et les émotions procurées par la Formule E en particulier. C'est une expérience enrichissante et l'occasion de partager de bons moments.
De plus en plus souvent, ces bons moments sont gâchés par l'incompréhension, la peur et l'indignation que je ressens devant mon écran. Je suis d'autres sports mécaniques et je suis habitué à voir des incidents en piste qui laissent des traces. Il est habituel que dans ces cas-là, la course soit interrompue, par exemple, par l'intervention d'une voiture de sécurité qui vient imposer un rythme réduit aux voitures de course afin de permettre de dégager la piste et de la rendre à nouveau propre à la compétition dans des conditions de sécurité que tous ont accepté au départ. Mais pas en Formule E. Non, la plupart du temps en Formule E, les débris restent en piste et la course continue. C'est presque systématique. Le phénomène a atteint un sommet lors de la finale de la saison 8, à Séoul, lorsqu'une voiture s'est retrouvée immobilisée dans une échappatoire (c'est à cela que ça sert) à une dizaine de mètres de la piste. Après quelques tours, la procédure devant aboutir à l'évacuation de cette voiture semblant tarder, le directeur de course a pris la décision de lever les drapeaux jaunes et de faire continuer la course dans des conditions normales. Si une autre voiture était sortie de piste au même endroit, au lieu de pouvoir profiter de l'échappatoire pour ralentir, elle serait entrée en collision avec la première. Fort heureusement, cela n'a pas été le cas.
Revenons maintenant dans un passé plus récent. Au moment où j'écris ces lignes, nous sommes un peu plus de 48h après l'E-Prix d'Hyderabad, quatrième épreuve de la saison 9. Et nous avons franchi un nouveau pallier. Cette fois encore, des débris se sont retrouvés sur la piste et la course a suivi son cours sans interruption. Les débris sont restés en place. Mais cette fois, ils ont fait des dégâts. Voici une liste, non exhaustive, de quelques faits qui se sont déroulés pendant cette course :
- Tour 2 : après un contact, Edoardo Mortara perd son aileron avant, qui vient se loger sous sa voiture. Mais il roule toujours.
- Tour 5 : Edoardo Mortara perd son aileron avant sur la piste. Celui-ci se retrouve sur la trajectoire de course. Il sera signalé par un drapeau jaune et évacué quelques tours plus tard sans interruption de course.
- Tour 15 : Jean-Éric Vergne dépasse Sébastien Buémi et roule sur un débris en se portant hors trajectoire.
- Tour 18 : Norman Nato rentre aux stands pour remplacer une roue après une crevaison.
- Tour 23 : Jake Hughes percute un mur et abandonne.
Le cas Mortara : 3 tours se sont écoulés entre le moment ou l'aileron de la Maserati a glissé sous la voiture et celui où il s'est retrouvé en piste. 3 tours pendant lesquels la monoplace a roulé en traînant au sol un aileron non accroché. S'il convient de saluer l'intervention rapide des commissaires de piste pour évacuer l'aileron une fois sur la piste, plusieurs voitures sont tout de même passées très près de cet aileron à haute vitesse. La direction de course aurait pu choisir, par exemple, de brandir un drapeau noir à disque orange dès le moment où l'aileron de Mortara s'est retrouvé sous sa voiture pour lui signifier qu'il devait rentrer aux stands pour réparer. Cela aurait permis à son équipe de retirer l'aileron de sous sa monoplace. Mais cela n'a pas été fait.
Le cas Vergne : les morceaux de voiture qui se retrouvent en piste sont des fragments de carbone arrachés. Ce sont des objets tranchants. Vergne a cette fois eu la chance de ne pas subir les conséquences de son passage sur le débris, mais sa chance aurait pu être différente. La direction de course aurait pu brandir un drapeau jaune pour signaler le débris, voire déclencher un régime de full course yellow imposant une vitesse maximale réduite aux voitures, le temps que les commissaires de piste récupèrent le débris. Mais cela n'a pas été fait.
Le cas Nato : Vous ai-je déjà dit que les morceaux de voiture en piste étaient des fragments de carbone tranchants ? À ce stade, et à ma connaissance, la cause de la crevaison de Nato n'est pas connue, mais habituellement il n'y a pas beaucoup d'élements en piste qui sont susceptibles de causer des crevaisons...
Le cas Hughes : Le cas le plus parlant de tous. On apprendra après la course qu'un débris avait abîmé un rétroviseur de la McLaren qui s'est décroché quelques tours plus tard, venant se coincer derrière son volant et bloquant sa direction. À cause d'un débris resté en piste, Jake Hughes a percuté un mur. Fort heureusement, c'était en sortie de virage et donc à vitesse réduite. Que ce serait-il passé si sa direction s'était bloquée à l'amorce qu'une courbe rapide à 200 km/h ?
La direction de course dispose d'un éventail d'outils qui lui permettent d'intervenir pour rendre la piste propre à la compétition en cas d'incident : Drapeaux jaunes, full course yellow, voiture de sécurité, interruption de course par drapeau rouge. Pourquoi, alors, ne pas s'en servir pour suspendre la course brièvement, le temps de retirer les débris de la piste ? Je ne suis pas dans la tête du directeur de course. Je ne peux que supposer que la logique est de laisser les pilotes courir sans perturber la course. Or, comme on l'a vu dans le cas de Jake Hughes, ne pas faire intervenir un full course yellow de temps en temps pour retirer des débris a fini par causer une intervention forcée de la voiture de sécurité pour évacuer la voiture de Jake Hughes, ce qui a eu une influence bien plus grande sur la course.
Monsieur le directeur de course Scott Elkins, qu'attendez-vous pour agir ? Mesdames et Messieurs de la FIA, qu'attendez-vous pour agir ? Que faudra-t-il pour vous faire comprendre que laisser courir des voitures alors que des débris de carbone sont présents sur la piste est extrêmement dangereux ? Les sports mécaniques sont dangereux par nature, certes, mais est-ce une raison ne pas tenter de réduire le risque lorsque c'est si facile ? Faudra-t-il franchir un nouveau pallier et voir des blessés ou des morts chez les pilotes, les commissaires ou les spectateurs, pour qu'enfin on prenne conscience du problème ? En plus d'être un problème de sécurité, c'est également une entrave à la compétition puisque les pilotes ne peuvent plus choisir où positionner leur voiture (il faut bien éviter les débris pour éviter les risques d'abandon). Nous regardons la Formule E pour la compétition, le challenge, le beau geste, le coup de génie. Pas pour voir des pilotes risquer leur vie sur une bêtise. Je vous en prie, Mesdammes, Messieurs, saisissez-vous du sujet et faites en sorte que cette compétion que nous aimons puisse se dérouler à nouveau dans des conditions de sécurité acceptable. Place à la compétition, rien qu'à la compétition.
Je terminerai en formulant mes excuses à Jake Hughes, dont j'ai honteusement utilisé lenom pour un jeu de mots douteux, alors que c'est précisément lui dont la vie a été mise le plus en danger dans cette course. La place de Jake Hughes est dans un baquet, en piste, et je souhaite qu'il y courre pendant longtemps.
Rendez-vous sur la prochaine ligne de départ. En croisant les doigts.
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