13- Propriétaires bailleurs: Comment le capital immobilier et la marchandisation du logement transforment les villes et les classes sociales ?, entretien avec Cécile Vignal, sociologue au Clersé
Entretien avec Cécile Vignal, professeure de sociologie au Clersé UMR8019 à l’Université de Lille. Spécialiste en sociologie urbaine, sociologie de la famille et sociologie des classes sociales, c’est à travers l’étude de la marchandisation du logement notamment celle du parc locatif immobilier réalisée par les propriétaires bailleurs, qu’elle s’intéresse, dans le cadre de ses recherches, aux inégalités d’accumulation du patrimoine immobilier, aux classes sociales mais aussi aux espaces urbains, à l’accès au logement, finalement à la façon de produire et d’habiter la ville.
Dans cet épisode du podcast FRESQUES du Clersé, Cécile Vignal discute des propriétaires bailleurs du parc de logements locatifs et explique comment quelque part, ils contribuent à façonner la ville.
Quelques chiffres de cadrage pour commencer: En France, le parc locatif immobilier privé est important, il est détenu par 13,8% des ménages (selon l’INSEE en 2023) et cela représente plus de 7 millions de logements. Par ailleurs, en 2023, toujours selon l’INSEE, 57,2% des ménages sont propriétaires de leur résidence principale en France, et un quart sont même multipropriétaires. Il existe donc des inégalités dans la propriété des logements locatifs.
Après avoir donné une définition de la marchandisation du logement, Cécile Vignal dans un premier temps expose les méthodes qu’elle a utilisées pour mener à bien cette recherche scientifique sur les propriétaires bailleurs (exploitation d’une enquête nationale quantitative de l’INSEE « Histoire de Vie et patrimoine » qui porte sur les ménages, couplée à une enquête qualitative qu’elle a menée par entretiens dans l’agglomération de Lille auprès de propriétaires de classes bourgeoises, de classes moyennes et de classes populaires, l’ensemble est enrichi par son analyse des données cadastrales). Dans un second temps, elle donne son analyse du profil de ces propriétaires bailleurs sous l’angle des classes sociales et nous fait part de la manière dont ils structurent la ville tant d’un point de vue spatial que social.
Cet épisode de FRESQUES met en avant l’intérêt pour les sciences sociales d’étudier le logement. Cette étude permet en effet de rendre compte de la mobilisation des individus, des couples et des groupes de parentés pour devenir propriétaires et bailleurs en vue de constituer un patrimoine et d’en tirer des loyers. Cécile Vignal explique comment le logement sort ainsi de sa seule valeur d’usage pour devenir une valeur marchande, une valeur de rapport. La multiplication des propriétaires bailleurs s’est développée avec un contexte général où les politiques publiques ont facilité l’accession à la propriété et aussi incité à l’investissement locatif dans le logement neuf avec l’épargne et l’endettement des classes moyennes et supérieurs dès les années 80 (défiscalisation).
Son analyse permet d’identifier le profil social des propriétaires bailleurs. Les données statistiques permettent de découvrir que le patrimoine immobilier est détenu par des classes supérieures et aussi par des ménages à dominante intermédiaire, et dans une moindre mesure des employés et des ouvriers. Cette hétérogénéité sociale du groupe des bailleurs s’explique par les opportunités de logements dégradés à bas prix des espaces urbains, et les effets de générations dans l’accès au crédit immobilier. Mais elle s’explique également par les stratégies des bailleurs et de leurs familles. Face aux réformes de la protection sociale, ces rentes locatives apparaissent aux propriétaires comme des compléments des revenus du travail, permettant d’assurer un avenir pour financer les études des enfants ou compléter une pension de retraite modeste. Mais cette stratégie est fragile et incertaine pour les ménages modestes tandis que d’autres parviennent à devenir multipropriétaire voire professionnalisent leur activité bailleresse. Pour les propriétaires de milieux populaires immigrés, être bailleur est un marqueur de réussite sociale soutenant la mobilité sociale des enfants notamment. Pour les propriétaires de milieux sociaux supérieurs, ces logements constituent une forme de placement parmi d’autres sources de revenus, une voie d’accumulation de capital économique permettant la reproduction sociale intergénérationnelle via l’enrichissement et l’héritage.
Du point de vue de l’espace urbain, les logements locatifs sont à majorité détenus par des personnes physiques et non par des sociétés capitalisées. Le marché locatif privé a fortement augmenté en volume dans les villes-centres des métropoles régionales tertiarisées. C’est ainsi que des maisons anciennes à réhabiliter sont rachetées depuis les années 1980 pour être ensuite divisées en appartements. Avec la désindustrialisation puis la tertiarisation de l'économie, les propriétaires bailleurs profitent du fait que « la ville devient une ville de locataires » pour des étudiants et de jeunes actifs. L’accaparement des biens immobiliers par les bailleurs privés renouvelle la lecture de la ségrégation urbaine entre des quartiers devenus locatifs et les quartiers de résidence des propriétaires vers lesquels les flux économiques de la rente locative se dirigent.
A travers cet épisode, Cécile Vignal nous partage ses recherches en sociologie sur le logement en ville avec son analyse des propriétaires bailleurs du parc locatif privé lillois et roubaisien.
Mots clefs : patrimoine immobilier, propriétaires bailleurs, classes sociales, famille, genre, espaces urbains
Référence principale : Vignal, C. 2023. A qui appartient la ville ? Trajectoires de propriétaires bailleurs et inégalités d’accès au patrimoine immobilier locatif suivant la classe sociale, mémoire original d’Habilitation à Diriger des Recherches en sociologie, Villeneuve d’Ascq, Université de Lille.
Pour en savoir plus :
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Cécile Vignal, Rentes locatives et classes sociales (titre provisoire), Presses Universitaires de France, à paraître
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Cécile Vignal, « Patrimoine immobilier locatif et mobilité sociale : les économies domestiques de propriétaires de classes populaires et immigrées », Enfances Familles Générations [En ligne], Numéro 46, 2024
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Vignal, C. 2018. « Chapitre 12 : Le travail du domicile : une entreprise de résistance au déclassement ? », dans Le monde privé des femmes : genre et habitat dans la société française, sous la dir. de A. Lambert, P. Dietrich-Ragon, C. Bonvalet, Paris, Éditions de l’INED, p. 251-268.
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Christian Topalov : « Le logement en France, histoire d'une marchandise impossible », Presses de Sciences Po, 1987 (compte-rendu de lecture de l’ouvrage par Guy Jalabert)
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Anne Lambert : « Logement : la fin de la France des propriétaires ? », podcast « sous les radars » de France Culture, 16 septembre 2023
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Collectif Rosa Bonheur, La ville vue d’en bas, Editions Amsterdam , 2019d
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Collectif Degeyter, Sociologie de Lille, Collection Repères N°692, Editions La découverte, 2017
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Anne Lambert, Tous propriétaires, l’envers du décor pavillonnaire, éditions du Seuil, 2015
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Sarah Abdelnour et Anne Lambert, « L’entreprise de soi », un nouveau mode de gestion politique des classes populaires ? Analyse croisée de l’accession à la propriété et de l’auto-emploi (1077-2012), Genèses N°95, 2014, p.27-48
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Benites-Gambirazio, E. et L. Bonneval. 2022. « Housing as Asset-based Welfare. The Case of France », Housing Studies
Concept et réalisation du podcast "FRESQUES - Les RDV socio-éco du Clersé" : Marie-Pierre Coquard, chargée de la valorisation des activités de recherche au Clersé UMR 8019 (Entretien réalisé le 29 août 2024)
Sources du montage audio : bruitages (issus de La Sonothèque de Joseph Sardin, Titres : Carillon d'entrée #6, Grincement de porte #6, Pas d’escalier en bois #4), musique (Titre : The Success - Auteur: Keys of Moon - Source: https://soundcloud.com/keysofmoon; Licence (CC-BY) : https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/deed.fr - Téléchargement: https://www.auboutdufil.com/index.php?id=523)
Entretien avec Cécile Vignal, professeure de sociologie au Clersé UMR8019 à l’Université de Lille. Spécialiste en sociologie urbaine, sociologie de la famille et sociologie des classes sociales, c’est à travers l’étude de la marchandisation du logement notamment celle du parc locatif immobilier réalisée par les propriétaires bailleurs, qu’elle s’intéresse, dans le cadre de ses recherches, aux inégalités d’accumulation du patrimoine immobilier, aux classes sociales mais aussi aux espaces urbains, à l’accès au logement, finalement à la façon de produire et d’habiter la ville.
Dans cet épisode du podcast FRESQUES du Clersé, Cécile Vignal discute des propriétaires bailleurs du parc de logements locatifs et explique comment quelque part, ils contribuent à façonner la ville.
Quelques chiffres de cadrage pour commencer: En France, le parc locatif immobilier privé est important, il est détenu par 13,8% des ménages (selon l’INSEE en 2023) et cela représente plus de 7 millions de logements. Par ailleurs, en 2023, toujours selon l’INSEE, 57,2% des ménages sont propriétaires de leur résidence principale en France, et un quart sont même multipropriétaires. Il existe donc des inégalités dans la propriété des logements locatifs.
Après avoir donné une définition de la marchandisation du logement, Cécile Vignal dans un premier temps expose les méthodes qu’elle a utilisées pour mener à bien cette recherche scientifique sur les propriétaires bailleurs (exploitation d’une enquête nationale quantitative de l’INSEE « Histoire de Vie et patrimoine » qui porte sur les ménages, couplée à une enquête qualitative qu’elle a menée par entretiens dans l’agglomération de Lille auprès de propriétaires de classes bourgeoises, de classes moyennes et de classes populaires, l’ensemble est enrichi par son analyse des données cadastrales). Dans un second temps, elle donne son analyse du profil de ces propriétaires bailleurs sous l’angle des classes sociales et nous fait part de la manière dont ils structurent la ville tant d’un point de vue spatial que social.
Cet épisode de FRESQUES met en avant l’intérêt pour les sciences sociales d’étudier le logement. Cette étude permet en effet de rendre compte de la mobilisation des individus, des couples et des groupes de parentés pour devenir propriétaires et bailleurs en vue de constituer un patrimoine et d’en tirer des loyers. Cécile Vignal explique comment le logement sort ainsi de sa seule valeur d’usage pour devenir une valeur marchande, une valeur de rapport. La multiplication des propriétaires bailleurs s’est développée avec un contexte général où les politiques publiques ont facilité l’accession à la propriété et aussi incité à l’investissement locatif dans le logement neuf avec l’épargne et l’endettement des classes moyennes et supérieurs dès les années 80 (défiscalisation).
Son analyse permet d’identifier le profil social des propriétaires bailleurs. Les données statistiques permettent de découvrir que le patrimoine immobilier est détenu par des classes supérieures et aussi par des ménages à dominante intermédiaire, et dans une moindre mesure des employés et des ouvriers. Cette hétérogénéité sociale du groupe des bailleurs s’explique par les opportunités de logements dégradés à bas prix des espaces urbains, et les effets de générations dans l’accès au crédit immobilier. Mais elle s’explique également par les stratégies des bailleurs et de leurs familles. Face aux réformes de la protection sociale, ces rentes locatives apparaissent aux propriétaires comme des compléments des revenus du travail, permettant d’assurer un avenir pour financer les études des enfants ou compléter une pension de retraite modeste. Mais cette stratégie est fragile et incertaine pour les ménages modestes tandis que d’autres parviennent à devenir multipropriétaire voire professionnalisent leur activité bailleresse. Pour les propriétaires de milieux populaires immigrés, être bailleur est un marqueur de réussite sociale soutenant la mobilité sociale des enfants notamment. Pour les propriétaires de milieux sociaux supérieurs, ces logements constituent une forme de placement parmi d’autres sources de revenus, une voie d’accumulation de capital économique permettant la reproduction sociale intergénérationnelle via l’enrichissement et l’héritage.
Du point de vue de l’espace urbain, les logements locatifs sont à majorité détenus par des personnes physiques et non par des sociétés capitalisées. Le marché locatif privé a fortement augmenté en volume dans les villes-centres des métropoles régionales tertiarisées. C’est ainsi que des maisons anciennes à réhabiliter sont rachetées depuis les années 1980 pour être ensuite divisées en appartements. Avec la désindustrialisation puis la tertiarisation de l'économie, les propriétaires bailleurs profitent du fait que « la ville devient une ville de locataires » pour des étudiants et de jeunes actifs. L’accaparement des biens immobiliers par les bailleurs privés renouvelle la lecture de la ségrégation urbaine entre des quartiers devenus locatifs et les quartiers de résidence des propriétaires vers lesquels les flux économiques de la rente locative se dirigent.
A travers cet épisode, Cécile Vignal nous partage ses recherches en sociologie sur le logement en ville avec son analyse des propriétaires bailleurs du parc locatif privé lillois et roubaisien.
Mots clefs : patrimoine immobilier, propriétaires bailleurs, classes sociales, famille, genre, espaces urbains
Référence principale : Vignal, C. 2023. A qui appartient la ville ? Trajectoires de propriétaires bailleurs et inégalités d’accès au patrimoine immobilier locatif suivant la classe sociale, mémoire original d’Habilitation à Diriger des Recherches en sociologie, Villeneuve d’Ascq, Université de Lille.
Pour en savoir plus :
- Cécile Vignal, Rentes locatives et classes sociales (titre provisoire), Presses Universitaires de France, à paraître
- Cécile Vignal, « Patrimoine immobilier locatif et mobilité sociale : les économies domestiques de propriétaires de classes populaires et immigrées », Enfances Familles Générations [En ligne], Numéro 46, 2024
- Vignal, C. 2018. « Chapitre 12 : Le travail du domicile : une entreprise de résistance au déclassement ? », dans Le monde privé des femmes : genre et habitat dans la société française, sous la dir. de A. Lambert, P. Dietrich-Ragon, C. Bonvalet, Paris, Éditions de l’INED, p. 251-268.
- Christian Topalov : « Le logement en France, histoire d'une marchandise impossible », Presses de Sciences Po, 1987 (compte-rendu de lecture de l’ouvrage par Guy Jalabert)
- Anne Lambert : « Logement : la fin de la France des propriétaires ? », podcast « sous les radars » de France Culture, 16 septembre 2023
- Collectif Rosa Bonheur, La ville vue d’en bas, Editions Amsterdam , 2019d
- Collectif Degeyter, Sociologie de Lille, Collection Repères N°692, Editions La découverte, 2017
- Anne Lambert, Tous propriétaires, l’envers du décor pavillonnaire, éditions du Seuil, 2015
- Sarah Abdelnour et Anne Lambert, « L’entreprise de soi », un nouveau mode de gestion politique des classes populaires ? Analyse croisée de l’accession à la propriété et de l’auto-emploi (1077-2012), Genèses N°95, 2014, p.27-48
- Benites-Gambirazio, E. et L. Bonneval. 2022. « Housing as Asset-based Welfare. The Case of France », Housing Studies
Concept et réalisation du podcast "FRESQUES - Les RDV socio-éco du Clersé" : Marie-Pierre Coquard, chargée de la valorisation des activités de recherche au Clersé UMR 8019 (Entretien réalisé le 29 août 2024)
Sources du montage audio : bruitages (issus de La Sonothèque de Joseph Sardin, Titres : Carillon d'entrée #6, Grincement de porte #6, Pas d’escalier en bois #4), musique (Titre : The Success - Auteur: Keys of Moon - Source: https://soundcloud.com/keysofmoon; Licence (CC-BY) : https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/deed.fr - Téléchargement: https://www.auboutdufil.com/index.php?id=523)
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