#E19 - Kléber Dupuy, par Marie Kremer - FR
"Je reste au fort !"
Kléber Dupuy
"Je reste au fort !"
En cette nuit du 10 au 11 juillet 1916, la 3e compagnie du 7e Régiment d'Infanterie est en mauvaise posture. Kléber Dupuy et les hommes qui l’entourent ont une mission : atteindre les carrières du bois de Vaux-Chapitre.
La marche est longue, sous les obus et dans les nappes de gaz asphyxiants. Malgré les masques de protection, les hommes tombent les uns après les autres. Soucarre, le capitaine de la compagnie, finit par être intoxiqué. Il passe le commandement au jeune Dupuy.
Sur le chemin, une masse se dresse devant eux. Souville. Il est 5h30 et le jour se lève sur le groupe de soldats. Combien en reste-il ? Une soixantaine… Seulement… Kléber comprend qu’ils n’arriveront jamais vivants aux carrières.
Leur salut, c’est de faire halte au fort de Souville qui n’est plus très loin. Il semble pourtant inatteignable : les canons allemands martèlent l’ouvrage fortifié et ses environs immédiats. À coup sûr, l’ennemi prépare une nouvelle offensive après l’échec de celle du 23 juin.
Il découvre alors les ruines de l’ouvrage. Seules les galeries souterraines tiennent encore debout. Là, le spectacle est désolant. Des blessés et des gazés souffrent, hurlent et meurent dans l’obscurité. Le lieutenant-colonel Astruc, en charge du commandement du fort, est lui-même intoxiqué et dans l’incapacité de commander. Dupuy décide de réorganiser tant que faire se peut la défense du fort.
Il dispose d’à peine 300 hommes, issus d’unités diverses. Il leur ordonne de dégager les sorties obstruées par les effondrements, de construire des barricades, et poste des sentinelles aux alentours. Toute la journée du 11 juillet, à moins d’1 km de là, au niveau des ruines de Fleury, les combats sont d’une violence inouïe. La garnison s’attend à voir surgir l’ennemi qui, finalement, ne se présente pas…
Mais, dans les premières heures de ce mercredi 12 juillet, les Allemands repartent à l’attaque et, cette fois-ci, ils s’approchent dangereusement. « Tout le monde à son poste ! ». Sur les pentes du fort, quelques centaines de soldats ennemis bondissent de trou d’obus en trou d’obus. Les mitrailleuses de Souville entrent en action, et infligent de lourdes pertes aux assaillants. Quelques dizaines de soldats ennemis parviennent cependant à atteindre les fossés et les dessus du fort. Le combat se poursuit à la grenade.
C’est alors que les obus allemands s’abattent avec force sur le fort. Mais, au bruit des trajectoires, les défenseurs comprennent avec horreur que l’artillerie française se mêle également à l’œuvre de destruction qui frappe indistinctement les combattants des deux camps. À Verdun, on pense en effet que le fort est déjà perdu, d’où cette méprise ! Au milieu des explosions, Dupuy s’empresse de faire prévenir l’état-major pour demander de toute urgence l’arrêt des tirs… Qui finissent par cesser après une heure interminable.
En milieu de journée, des renforts du 25e Bataillon de chasseurs à pied arrivent au fort pour le dégager, et pour faire prisonnier les quelques soldats allemands encore en état de se battre. À 14h, le fort n’est plus menacé. Sur les 300 hommes de la garnison, la moitié a été tuée, blessée ou portée disparue… Au soir, Dupuy et ses hommes sont relevés.
Ce combat de Souville est depuis présenté dans l’historiographie française comme l’ultime assaut des Allemands contre Verdun. Dans les faits, il s’agissait plutôt d’une simple reconnaissance, qui avait d’ailleurs été effectuée sans ordre par les soldats allemands du 140e Régiment d'Infanterie. Mais pour tous ceux qui y avaient participé, l’intensité de la lutte n’en avait pas moins été réelle…
Pour cette action héroïque, Kléber Dupuy est fait chevalier de la Légion d’honneur en 1917. Ce jeune girondin, courageux et vaillant, n’avait pourtant pas embrassé une carrière militaire. Né en 1892, dans une famille d’ostréiculteurs, Kléber Dupuy obtient son diplôme d’instituteur en 1912. Deux ans plus tard, la guerre éclate alors qu’il effectue son service militaire. Lors de la bataille de la Marne, il avait déjà été blessé par l’explosion d’un obus. Le 3 juin 1916, devenu lieutenant, c’est avec la 3e compagnie du 7e Régiment d'Infanterie qu’il avait rejoint le front de Verdun.
En 1918, Kléber est grièvement blessé près de Tigny, dans l’Aisne, une blessure qui le contraint à se faire amputer d’une jambe.
La paix revenue, il reprend sa fonction d’instituteur à Bordeaux, comme si presque rien ne s’était passé. Mais, gêné par son handicap, il devient en 1923 le chef de Service Administratif du Comité Départemental d’Assistance aux Mutilés et Veuves de Guerre en Gironde.
Grand officier de la Légion d’honneur depuis 1948, il meurt le 16 octobre 1966 à 74 ans.
#DestindeVerdun, un podcast écrit et produit par l'équipe du Mémorial de Verdun : Nicolas Czubak, Quentin Poulet et Charles Poisson
Adaptation des textes pour l’audio : Delphine Peresan-Roudil et Florence Guionneau-Joie
Voix-off : Marie Kremer
Musique originale : Christian Holl et Hicham Chahidi
Réalisation : FGJ/ArtExpo - Post-production : Plissken Production - Enregistrement : Hope So Production
Kléber Dupuy
"Je reste au fort !"
En cette nuit du 10 au 11 juillet 1916, la 3e compagnie du 7e Régiment d'Infanterie est en mauvaise posture. Kléber Dupuy et les hommes qui l’entourent ont une mission : atteindre les carrières du bois de Vaux-Chapitre.
La marche est longue, sous les obus et dans les nappes de gaz asphyxiants. Malgré les masques de protection, les hommes tombent les uns après les autres. Soucarre, le capitaine de la compagnie, finit par être intoxiqué. Il passe le commandement au jeune Dupuy.
Sur le chemin, une masse se dresse devant eux. Souville. Il est 5h30 et le jour se lève sur le groupe de soldats. Combien en reste-il ? Une soixantaine… Seulement… Kléber comprend qu’ils n’arriveront jamais vivants aux carrières.
Leur salut, c’est de faire halte au fort de Souville qui n’est plus très loin. Il semble pourtant inatteignable : les canons allemands martèlent l’ouvrage fortifié et ses environs immédiats. À coup sûr, l’ennemi prépare une nouvelle offensive après l’échec de celle du 23 juin.
Il découvre alors les ruines de l’ouvrage. Seules les galeries souterraines tiennent encore debout. Là, le spectacle est désolant. Des blessés et des gazés souffrent, hurlent et meurent dans l’obscurité. Le lieutenant-colonel Astruc, en charge du commandement du fort, est lui-même intoxiqué et dans l’incapacité de commander. Dupuy décide de réorganiser tant que faire se peut la défense du fort.
Il dispose d’à peine 300 hommes, issus d’unités diverses. Il leur ordonne de dégager les sorties obstruées par les effondrements, de construire des barricades, et poste des sentinelles aux alentours. Toute la journée du 11 juillet, à moins d’1 km de là, au niveau des ruines de Fleury, les combats sont d’une violence inouïe. La garnison s’attend à voir surgir l’ennemi qui, finalement, ne se présente pas…
Mais, dans les premières heures de ce mercredi 12 juillet, les Allemands repartent à l’attaque et, cette fois-ci, ils s’approchent dangereusement. « Tout le monde à son poste ! ». Sur les pentes du fort, quelques centaines de soldats ennemis bondissent de trou d’obus en trou d’obus. Les mitrailleuses de Souville entrent en action, et infligent de lourdes pertes aux assaillants. Quelques dizaines de soldats ennemis parviennent cependant à atteindre les fossés et les dessus du fort. Le combat se poursuit à la grenade.
C’est alors que les obus allemands s’abattent avec force sur le fort. Mais, au bruit des trajectoires, les défenseurs comprennent avec horreur que l’artillerie française se mêle également à l’œuvre de destruction qui frappe indistinctement les combattants des deux camps. À Verdun, on pense en effet que le fort est déjà perdu, d’où cette méprise ! Au milieu des explosions, Dupuy s’empresse de faire prévenir l’état-major pour demander de toute urgence l’arrêt des tirs… Qui finissent par cesser après une heure interminable.
En milieu de journée, des renforts du 25e Bataillon de chasseurs à pied arrivent au fort pour le dégager, et pour faire prisonnier les quelques soldats allemands encore en état de se battre. À 14h, le fort n’est plus menacé. Sur les 300 hommes de la garnison, la moitié a été tuée, blessée ou portée disparue… Au soir, Dupuy et ses hommes sont relevés.
Ce combat de Souville est depuis présenté dans l’historiographie française comme l’ultime assaut des Allemands contre Verdun. Dans les faits, il s’agissait plutôt d’une simple reconnaissance, qui avait d’ailleurs été effectuée sans ordre par les soldats allemands du 140e Régiment d'Infanterie. Mais pour tous ceux qui y avaient participé, l’intensité de la lutte n’en avait pas moins été réelle…
Pour cette action héroïque, Kléber Dupuy est fait chevalier de la Légion d’honneur en 1917. Ce jeune girondin, courageux et vaillant, n’avait pourtant pas embrassé une carrière militaire. Né en 1892, dans une famille d’ostréiculteurs, Kléber Dupuy obtient son diplôme d’instituteur en 1912. Deux ans plus tard, la guerre éclate alors qu’il effectue son service militaire. Lors de la bataille de la Marne, il avait déjà été blessé par l’explosion d’un obus. Le 3 juin 1916, devenu lieutenant, c’est avec la 3e compagnie du 7e Régiment d'Infanterie qu’il avait rejoint le front de Verdun.
En 1918, Kléber est grièvement blessé près de Tigny, dans l’Aisne, une blessure qui le contraint à se faire amputer d’une jambe.
La paix revenue, il reprend sa fonction d’instituteur à Bordeaux, comme si presque rien ne s’était passé. Mais, gêné par son handicap, il devient en 1923 le chef de Service Administratif du Comité Départemental d’Assistance aux Mutilés et Veuves de Guerre en Gironde.
Grand officier de la Légion d’honneur depuis 1948, il meurt le 16 octobre 1966 à 74 ans.
#DestindeVerdun, un podcast écrit et produit par l'équipe du Mémorial de Verdun : Nicolas Czubak, Quentin Poulet et Charles Poisson
Adaptation des textes pour l’audio : Delphine Peresan-Roudil et Florence Guionneau-Joie
Voix-off : Marie Kremer
Musique originale : Christian Holl et Hicham Chahidi
Réalisation : FGJ/ArtExpo - Post-production : Plissken Production - Enregistrement : Hope So Production
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