
Lâcher Prise
Tiré du livre Méditer, jour après jour écrit par Christophe André
Ce n'est pas son corps nu qui nous frappe. Ce n'est pas ce détail étonnant du drap tout blanc, soigneusement déployé sur le tertre caillouteux, d'où commencent à émerger de petites pousses de végétation. Ce n'est pas la position délicate, maladroite et touchante de ses pieds. Non, ce qui nous frappe, c'est son regard, son visage impassible et comme triomphant. Son expression de tranquille certitude. Son regard, qui nous suggère plutôt de poser les yeux sur sa main gauche, sur le rameau d'olivier qu'elle tient comme un trophée, une preuve ou un argument. L'olivier, qui parle de paix et d'espérance.
Derrière elle, une sorte de montagne déchiquetée. A y regarder de plus près, il ne s'agit pas d'un massif rocheux mais de bâtiments en ruines. Et ces clôtures qui parcourent les champs, ce sont des tombes avec leurs pauvres croix.
Puvis de Chavannes a peint ce tableau un an après la guerre franco-prussienne de 1870, et l'humiliation de son pays dans une défaite éclair, qui précipita la chute du Second Empire. Il l’a appelé L'Espérance, et a reçu beaucoup de critiques à son propos. Mais que voulaient ces critiques ? Qu’au lieu du rameau d’olivier, elle brandisse un fusil, pour repartir en guerre, ou une pelle, pour tout reconstruire ?
Indifférente pour toujours à toute idée de revanche, indifférente pour l'instant à toute idée d'action, la jeune fille, sans autre force que son corps mince et nu, prend le temps ; elle prend conscience. Elle éprouve et transmet la conscience des désastres passés et la conscience des nouveaux temps qui viennent.
Et l'on remarque alors sous sa main droite, doucement posé sur le drap blanc, que monte déjà vers le ciel une pousse de chêne.
« Où est donc ma peine ?
Je n’ai plus de peine.
Ce n’est qu’un murmure
au bord du soleil. »
Paul Fort, Chanson à l'aube
Ne pas se débattre
Lorsque nous avons des difficultés, nous tentons de les résoudre. Nous tentons de les écarter, de les modifier ou de les fuir. Mais il y a des difficultés pour lesquelles ces efforts ne marchent pas : si les problèmes sont en nous (nos pensées ou nos émotions) ou s'ils sont inaccessibles (certaines adversités) ou s'ils n'existent pas encore (nos anticipations). Alors, parfois, il faut juste cesser de s'agiter et de se débattre. Renoncer à nos habitudes face à toute douleur, et admettre qu'elles ne font que compliquer plus encore certaines situations, que les rendre plus confuses et douloureuses.
Lorsque vous marchez dans l'eau sur un sol sablonneux, de petits nuages de sable se soulèvent. Vous voulez que l'eau autour de vos pieds redevienne claire ? Vous savez qu’il est inutile de vouloir aplatir les nuages de sable avec vos pieds ou vos mains : vous ne ferez qu’en soulever d'autres. Et, plus vous essaierez, plus il y aura de nuages de sable et plus l'eau sera trouble. Pas d’autre solution que de vous arrêter, de permettre aux nuages de sable d'être là, et d’attendre qu’ils retombent. Et d'observer à nouveau l'eau claire autour de vos pieds… Les nuages de sable sont les expériences de vie douloureuses. La pleine conscience nous recommande, pour y voir plus clair, de prendre un moment pour nous arrêter de vouloir les contrôler, et de juste les regarder se déposer d'eux-mêmes au fond de l’eau…
La philosophe Simone Weil écrivait ainsi : Essayer de remédier aux fautes par l'attention et non par la volonté. […] La supplication intérieure est la seule raisonnable car elle évite de raidir les muscles qui n'ont rien à voir dans l'affaire. Quoi de plus sot que de raidir les muscles et serrer les mâchoires à propos de vertu, de poésie ou de solutions d'un problème ?
Mais alors, si c'est non pas l'action mais l'attention qui est la solution, vers quoi la tourner, nous sommes coincés, comme enlisés au milieu d’un fleuve. Ne plus chercher à avancer, ne plus pouvoir reculer, mais que faire ?
S’arrêter pour respirer
Face aux souffrances, aux détresses, commencer par respirer.
En général, on préfère ruminer ou se tourmenter ; cela nous paraît plus digne et plus réaliste ou plus efficace, quand on est dans ses soucis. Quelque temps après, on comprend que c'était absurde, bien sûr, de s’être tant inquiété. Mais trop tard ; et, en général, on préfère oublier. Et penser à autre chose. En attendant les ennuis suivants où tout recommencera exactement comme avant.
Alors, la pleine conscience nous propose de respirer, de travailler sur notre souffrance lorsqu'elle est là. A ce moment, ne chercher ni à la supprimer, ni à la résoudre, ni même à se sentir bien : juste rester là avec son souffle, comme un vieil ami qui ne sait pas encore quoi nous conseiller, mais qui est avec nous, qui reste à nos côtés. Et sa présence, sa belle présence, est peut-être plus importante, finalement, que le problème lui-même…
Notre respiration, en pleine conscience, va avoir peu à peu un effet émollient. Là où la rumination solidifie nos pensées et nos émotions désagréables, la pleine conscience les ramollit, comme la flamme d'une bougie ramollit la cire. Portons nos expériences désagréables à la lumière et à la chaleur de la pleine conscience. Même si nous nous sentons fragiles et démunis, même si nous savons que cela ne changera pas le problème.
Pourquoi vouloir commencer par changer le problème ? Et si parfois nous commencions par changer notre réaction au problème ?
Le refuge de l'instant présent
Lorsqu'on s'arrête pour respirer, même si tout est douloureux autour de nous, on peut se sentir comme dans un refuge. Comme un bateau abrité dans un port ou une baie au cours d'une tempête : tout continue à se déchainer mais on est à l’abri ; un abri imparfait et transitoire, mais un abri. En respirant, on comprend qu'on est vivant, que c’est l’essentiel, que le reste peut attendre, au moins quelques instants.
Prendre refuge dans l’instant présent, ce n'est pas avoir résolu le problème, ni trouver une solution. Non, les problèmes continuent et la solution ne jaillira pas du souffle ; encore faudrait-il qu'elle existe, d'ailleurs… Les problèmes continuent mais on a trouvé un lieu sûr d'où les observer, sans être obligé de se débattre par peur de finir submergé ou noyé.
Respirer dans l'adversité, c'est placer notre esprit dans un refuge. Pas pour fuir la réalité, pas pour agir, mais pour choisir de voir plus clair, choisir de laisser de l'espace au calme, choisir de laisser une chance à notre intelligence. Quoi que je fasse, quoi que je pense, le problème est là, il est déjà là. Mais, moi, je suis vivant, je suis présent. Et du mieux que je peux, je vais continuer de l'être. Respirer… Bientôt quelque aura changé ; je dois juste accepter de ne savoir ni quoi ni quand.
Leçon 16
Lâcher prise, c'est quoi ? Ce n'est pas fuir le réel par la distraction (« Allez change-toi les idées ») ou l'autopersuasion (« Détends-toi, tout ira bien ») : ça, nous savons déjà le faire, et parfois d'ailleurs, ça marche. Mais pas toujours. Non, lâcher prise, c'est autre chose, de bien utile aussi : c'est rester là, présent, dans une attitude mentale particulière. Restez là en renonçant à contrôler, à trouver une solution. Mais rester là. Faire confiance à ce qui va arriver. Sans naïveté, mais avec curiosité, sans cesser d'être attentif. Comme un nageur qui interrompt ses mouvements et se laisse porter par le cours du fleuve. Il ne s'agit pas de passivité mais de présence.
Ce n'est pas son corps nu qui nous frappe. Ce n'est pas ce détail étonnant du drap tout blanc, soigneusement déployé sur le tertre caillouteux, d'où commencent à émerger de petites pousses de végétation. Ce n'est pas la position délicate, maladroite et touchante de ses pieds. Non, ce qui nous frappe, c'est son regard, son visage impassible et comme triomphant. Son expression de tranquille certitude. Son regard, qui nous suggère plutôt de poser les yeux sur sa main gauche, sur le rameau d'olivier qu'elle tient comme un trophée, une preuve ou un argument. L'olivier, qui parle de paix et d'espérance.
Derrière elle, une sorte de montagne déchiquetée. A y regarder de plus près, il ne s'agit pas d'un massif rocheux mais de bâtiments en ruines. Et ces clôtures qui parcourent les champs, ce sont des tombes avec leurs pauvres croix.
Puvis de Chavannes a peint ce tableau un an après la guerre franco-prussienne de 1870, et l'humiliation de son pays dans une défaite éclair, qui précipita la chute du Second Empire. Il l’a appelé L'Espérance, et a reçu beaucoup de critiques à son propos. Mais que voulaient ces critiques ? Qu’au lieu du rameau d’olivier, elle brandisse un fusil, pour repartir en guerre, ou une pelle, pour tout reconstruire ?
Indifférente pour toujours à toute idée de revanche, indifférente pour l'instant à toute idée d'action, la jeune fille, sans autre force que son corps mince et nu, prend le temps ; elle prend conscience. Elle éprouve et transmet la conscience des désastres passés et la conscience des nouveaux temps qui viennent.
Et l'on remarque alors sous sa main droite, doucement posé sur le drap blanc, que monte déjà vers le ciel une pousse de chêne.
« Où est donc ma peine ?
Je n’ai plus de peine.
Ce n’est qu’un murmure
au bord du soleil. »
Paul Fort, Chanson à l'aube
Ne pas se débattre
Lorsque nous avons des difficultés, nous tentons de les résoudre. Nous tentons de les écarter, de les modifier ou de les fuir. Mais il y a des difficultés pour lesquelles ces efforts ne marchent pas : si les problèmes sont en nous (nos pensées ou nos émotions) ou s'ils sont inaccessibles (certaines adversités) ou s'ils n'existent pas encore (nos anticipations). Alors, parfois, il faut juste cesser de s'agiter et de se débattre. Renoncer à nos habitudes face à toute douleur, et admettre qu'elles ne font que compliquer plus encore certaines situations, que les rendre plus confuses et douloureuses.
Lorsque vous marchez dans l'eau sur un sol sablonneux, de petits nuages de sable se soulèvent. Vous voulez que l'eau autour de vos pieds redevienne claire ? Vous savez qu’il est inutile de vouloir aplatir les nuages de sable avec vos pieds ou vos mains : vous ne ferez qu’en soulever d'autres. Et, plus vous essaierez, plus il y aura de nuages de sable et plus l'eau sera trouble. Pas d’autre solution que de vous arrêter, de permettre aux nuages de sable d'être là, et d’attendre qu’ils retombent. Et d'observer à nouveau l'eau claire autour de vos pieds… Les nuages de sable sont les expériences de vie douloureuses. La pleine conscience nous recommande, pour y voir plus clair, de prendre un moment pour nous arrêter de vouloir les contrôler, et de juste les regarder se déposer d'eux-mêmes au fond de l’eau…
La philosophe Simone Weil écrivait ainsi : Essayer de remédier aux fautes par l'attention et non par la volonté. […] La supplication intérieure est la seule raisonnable car elle évite de raidir les muscles qui n'ont rien à voir dans l'affaire. Quoi de plus sot que de raidir les muscles et serrer les mâchoires à propos de vertu, de poésie ou de solutions d'un problème ?
Mais alors, si c'est non pas l'action mais l'attention qui est la solution, vers quoi la tourner, nous sommes coincés, comme enlisés au milieu d’un fleuve. Ne plus chercher à avancer, ne plus pouvoir reculer, mais que faire ?
S’arrêter pour respirer
Face aux souffrances, aux détresses, commencer par respirer.
En général, on préfère ruminer ou se tourmenter ; cela nous paraît plus digne et plus réaliste ou plus efficace, quand on est dans ses soucis. Quelque temps après, on comprend que c'était absurde, bien sûr, de s’être tant inquiété. Mais trop tard ; et, en général, on préfère oublier. Et penser à autre chose. En attendant les ennuis suivants où tout recommencera exactement comme avant.
Alors, la pleine conscience nous propose de respirer, de travailler sur notre souffrance lorsqu'elle est là. A ce moment, ne chercher ni à la supprimer, ni à la résoudre, ni même à se sentir bien : juste rester là avec son souffle, comme un vieil ami qui ne sait pas encore quoi nous conseiller, mais qui est avec nous, qui reste à nos côtés. Et sa présence, sa belle présence, est peut-être plus importante, finalement, que le problème lui-même…
Notre respiration, en pleine conscience, va avoir peu à peu un effet émollient. Là où la rumination solidifie nos pensées et nos émotions désagréables, la pleine conscience les ramollit, comme la flamme d'une bougie ramollit la cire. Portons nos expériences désagréables à la lumière et à la chaleur de la pleine conscience. Même si nous nous sentons fragiles et démunis, même si nous savons que cela ne changera pas le problème.
Pourquoi vouloir commencer par changer le problème ? Et si parfois nous commencions par changer notre réaction au problème ?
Le refuge de l'instant présent
Lorsqu'on s'arrête pour respirer, même si tout est douloureux autour de nous, on peut se sentir comme dans un refuge. Comme un bateau abrité dans un port ou une baie au cours d'une tempête : tout continue à se déchainer mais on est à l’abri ; un abri imparfait et transitoire, mais un abri. En respirant, on comprend qu'on est vivant, que c’est l’essentiel, que le reste peut attendre, au moins quelques instants.
Prendre refuge dans l’instant présent, ce n'est pas avoir résolu le problème, ni trouver une solution. Non, les problèmes continuent et la solution ne jaillira pas du souffle ; encore faudrait-il qu'elle existe, d'ailleurs… Les problèmes continuent mais on a trouvé un lieu sûr d'où les observer, sans être obligé de se débattre par peur de finir submergé ou noyé.
Respirer dans l'adversité, c'est placer notre esprit dans un refuge. Pas pour fuir la réalité, pas pour agir, mais pour choisir de voir plus clair, choisir de laisser de l'espace au calme, choisir de laisser une chance à notre intelligence. Quoi que je fasse, quoi que je pense, le problème est là, il est déjà là. Mais, moi, je suis vivant, je suis présent. Et du mieux que je peux, je vais continuer de l'être. Respirer… Bientôt quelque aura changé ; je dois juste accepter de ne savoir ni quoi ni quand.
Leçon 16
Lâcher prise, c'est quoi ? Ce n'est pas fuir le réel par la distraction (« Allez change-toi les idées ») ou l'autopersuasion (« Détends-toi, tout ira bien ») : ça, nous savons déjà le faire, et parfois d'ailleurs, ça marche. Mais pas toujours. Non, lâcher prise, c'est autre chose, de bien utile aussi : c'est rester là, présent, dans une attitude mentale particulière. Restez là en renonçant à contrôler, à trouver une solution. Mais rester là. Faire confiance à ce qui va arriver. Sans naïveté, mais avec curiosité, sans cesser d'être attentif. Comme un nageur qui interrompt ses mouvements et se laisse porter par le cours du fleuve. Il ne s'agit pas de passivité mais de présence.
- pleine conscience
- méditer
- respirer
- lacher prise


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